Le coupeur de roseaux

Junichirô Tanizaki

Folio

  • Conseillé par
    28 mai 2017

    Enclin à la rêverie et à la nostalgie depuis qu'il approche de la cinquantaine, le narrateur part se promener au sanctuaire de Minase qui s'élève sur l'emplacement du palais impérial de l'empereur Gotoba. Le lieu n'a rien d'exceptionnel a priori mais il est chargé d'Histoire et le promeneur se remémore des vers, des haïkus, des extraits d'oeuvres anciennes. La nature environnante, la proximité du fleuve Yodo sont propices à la contemplation de la pleine lune du huitième mois. Aussi s'attarde-t-il pour admirer l'astre, au milieu du fleuve, sur un banc de sable où il s'imagine revenu à l'époque où les geishas, rivalisant de beauté, voyageaient en bateau pour le plaisir des riches riverains. Soudain sa solitude est troublée par un homme surgi des roseaux qui lui propose du saké et une histoire. L'histoire d'amour de son père et de la belle et inaccessible O-Yû. Un amour impossible car O-Yû étant veuve et mère, la tradition rendait impossible un remariage. C'est donc avec O-Shizu, la sœur d'O-Yû, qu'il finit par se marier. Un mariage non consommé, un triangle amoureux, chaste et respectueux, dominé par O-Yû, gracieuse certes, mais aussi égoïste, narcissique, capricieuse, un brin perverse.


    Au rythme lent du marcheur, Junichirô Tanizaki nous convie dans le sanctuaire de Minase pour une promenade entre passé et présent, rêve et réalité. Après la mise en jambe tout en douceur dans le lieu saint et près des vestiges du palais impérial, accompagné par la musique des poèmes anciens, le lecteur flâne à la rencontre d'un conteur pour une douce échappée dans les temps anciens. A cette époque, la famille et les traditions pesaient sur les couples et l'amour n'avait pas forcément voix au chapitre. Enfant choyée par une famille en pâmoison devant sa beauté, O-Yû a été traitée pareillement dans sa belle-famille, toujours soucieuse de lui plaire et de la contenter. Habituée à voir tous ses vœux exaucés, la jeune fille se complaît dans un état de satisfaction permanente et se soucie finalement peu de son entourage. Elle accepte avec naturel le sacrifice de sa sœur et de l'homme qui l'aime. Il est question ici d'amour courtois, de chasteté, de désir bridé, de jeux sensuels, de caresses interrompues par le sens de l'honneur. Bien sûr, cette histoire d'amour finira, mais les sentiments de l'homme ne s'éteindront jamais. Longtemps encore après la rupture, il rôdera près de chez O-Yû, à chaque pleine lune du huitième mois, pour revoir encore une fois sa cruelle bien-aimée...
    Une nouvelle poétique, onirique et langoureuse inspirée d'un conte populaire et servie par la plume sensuelle et délicate d'un auteur qui excelle à décrire un Japon idéal, fantasmé et révolu.


  • Conseillé par
    3 novembre 2011

    Un homme se rend dans le sanctuaire de Minase, un ancien palais impérial. Obsédé par un très vieux poème adressé à l’empereur, il déambule dans les lieux avec admiration et émotion. « Sans doute l’aspect des montagnes au-dessus de la rivière et le cours de celle-ci avaient-ils dû subir quelques changements en l’espace de sept cent ans, mais le paysage qui se peignait dans mon âme, chaque fois que je récitais le poème de l’empereur retiré, ressemblait dans l’ensemble à la vue qui s’étendait sous mes yeux. » (p. 27) La découverte enchantée du sanctuaire exacerbe le lyrisme du narrateur qui, sous l’effet du vin, commence à écrire en admirant la lune pleine.
    Sa retraite créatrice est interrompue par l’apparition d’un homme dans les roseaux qui se propose de lui narrer une histoire extraordinaire. Il l’invite d’abord à boire : « Acceptez cette coupe pour le prix de la piètre récitation que vous me ferez la grâce d’écouter. Tout l’effet en serait gâté si votre griserie se dissipait. » (p. 47) Une fois achevées ces libations poétiques, l’inconnu des roseaux raconte la curieuse relation qui unit son père à deux femmes, son épouse O-Shizu et sa belle-sœur O-Yû. Cette dernière était une femme éblouissante, d’un grand raffinement et habituée au luxe. Le père de l’inconnu était très épris d’elle, mais elle parvint à lui faire épouser sa sœur tout en gardant un contrôle certain sur le couple.
    Le récit s’achève par la disparition de l’inconnu. Qu’est-il donc advenu au cours de cette soirée ? Sont-ce les effets du saké qui ont joué sur l’esprit du narrateur ? Difficile d’affirmer quoi que ce soit, si ce n’est que la longue rêverie du narrateur, soulé d’alcool et de lune, se dissipe dans un bruissement de roseaux, emportant ainsi le mystère de la troublante O-Yû qui hantera longtemps les esprits qui ont eu connaissance de son histoire.
    J’ai particulièrement aimé la construction du récit. On passe d’un narrateur à la première personne à un autre, dans un système de récits enchâssés et de correspondances. Ce court roman est riche d’une antique intertextualité : haïkus, poèmes impérieux et créations artistiques s’égrènent dans la première partie. L’histoire d’O-Yû est une réécriture d’un vieux conte japonais. Junichiro Tanizaki connaît les œuvres classiques et les honorent, tout en proposant des variations très personnelles et modernes. Même si je n’ai probablement pas saisi toutes les nuances du récit, j’ai apprécié sa beauté et sa délicatesse.


  • Intéressant

    J’étais curieuse de découvrir cette œuvre. J’essaye de m’ouvrir le plus possible aux lectures dont je n’ai pas l’habitude et celle-ci me faisait tout particulièrement de l’œil. Toutefois je suis tombée sur un « os ». Comment vous expliquer …

    La poésie est très présente tout au long du récit, ce qui en soit n’est pas très grave. Ce sont plutôt les références qui sont faites à des poètes ou à des poèmes japonais (enfin, je présume) qui sont handicapantes pour quelqu’un qui ne les connait. Mais aussi est surtout car pendant toute la première moitié du récit l’auteur cite des lieux. Pour ce qui est des grandes villes (Kobe, Osaka, Kyoto …) j’arrivais à les situer mais pour ce qui est des régions et des quartiers j’avais un peu plus de mal, surtout qu’étant dans le train je ne pouvais même pas faire une petite recherche. C’est les seuls vrais points négatifs qui ressortent de ma lecture.

    Car l’autre moitié du récit – celle qui correspond plus, à mon sens, au résumé – est entrainante. Le récit est plaisant même si en elle-même l’histoire n’est pas d’un très grand intérêt. Le style est exquis tout comme les personnages que j’ai beaucoup aimé côtoyer.

    En conclusion, voici une lecture qui est loin d’être exceptionnelle mais qui reste tout de même agréable. Elle permet de voyager quelques petites heures et c’est bien plaisant.