Stendhal

crire dans un grenier, pour le plaisir, pour des amis inconnus; savoir que ces amis semblables soi existent quelque part, et que l'crit saura, avec le temps, les trouver, ou les susciter. Stendhal a eu cette illusion, qui s'est avre prophtique. Les happy few de la premire crypte beyliste sont devenus lgion. Stendhalien est aujourd'hui l'pithte la mode. Tout le monde prtend s'en emparer comme d'un intouchable label de qualit. Pourquoi cet engouement? Peut-tre parce que s'y respire un parfum d'lgance ironique, de dsinvolture tendre, et que l'acuit du regard s'y embue de nostalgie amoureuse. Si Stendhal se voit aujourd'hui l'objet de tant de rcuprations venues d'horizons opposs, c'est qu'en lui se revendique l'quilibre rare, et vrai dire miraculeux, entre l'exigence idologique de l'analyse mene avec ostinato rigore et la drive potique, l'engagement de la lucidit et les bouffes de la folie: la fois profondment impliqu dans le rel, qu'il passe sa vie ausculter et classer, dont il dmonte avec une perspicacit admirable le fonctionnement et les enjeux, et totalement dtach, convoqu ailleurs, en des rgions trs secrtes qui ressortissent un autre ordre, purement chimrique, o le coeur seul s'investit. C'est peut-tre parce que Stendhal n'a jamais sacrifi l'un l'autre ces deux appels simultans et divergents qu'il sduit des contemporains repus de mauvaise conscience, pris en charpe entre le diagnostic et le mirage, l'adhsion et la distance, et qui dcouvrent en lui que la ncessit de l'investigation aige de soi et du monde n'exclut pas, mais implique au contraire, la lgitimit plnire du dsir et le devoir absolu de rver.

Philippe Berthier - Grald Rannaud