Tout en se disant incroyants, certains intellectuels se posent aujourd’hui en défenseurs de la religion au nom de choses comme le besoin de sacré et de transcendance, ou le fait que le lien social ne peut être, en dernière analyse, que de nature religieuse.
Mais ce que l’on observe actuellement correspond sans doute moins à un « retour du religieux » qu’à ce que Musil appelait la « nostalgie de la croyance », qu’une époque par ailleurs foncièrement incroyante a une tendance fâcheuse à confondre avec la croyance elle-même. Et ce à quoi nous sommes confrontés est en réalité bien plus une utilisation nouvelle de la religion – dans ce qu’elle peut comporter de plus traditionnel et même de plus archaïque – par le pouvoir et la politique, qu’un renouveau religieux proprement dit.
En ouvrant une brèche dans nos certitudes les plus fondamentales en matière de théorie de la connaissance et d’épistémologie, le postmodernisme a pris, consciemment ou non, le risque d’encourager les religions à s’y engouffrer, avec l’espoir de réussir à récupérer une partie de l’ascendant qu’elles ont exercé pendant longtemps sur le monde intellectuel lui-même et perdu ensuite largement au profit de la science moderne.