Le Gros Poète
EAN13
9782889279456
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Le Gros Poète

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Le Gros Poète croit devoir raconter le roman moderne de la grande ville, «
comme si Berlin voulait, devait, allait être écrite à neuf en un langage
urbain ». L’homme est lourd, « comme bloqué dans un marécage » : « Et voici le
gros poète. Il habite en plein Berlin, dans le quartier russe, dans un haut
et vieil appartement où les pièces s’imbriquent les unes dans les autres
avec distinction. Il est fortuné et aussi somnolent. Il a de la peine à
penser, tout comme à respirer par un nez enflé et bouché. Seuls de
minuscules filets de pensée se faufilent à travers sa tête. Pour écrire, il
parcourt la ville en métro jusqu’au nord minable. C’est là qu’il descend,
traverse la rue Max, puis la rue Adolf jusqu’au bureau de poste devant lequel
se tiennent des mutilés de guerre en fauteuil roulant et, couchés par terre
sur des cartons, des sans-abri qui écoutent ensemble des tubes sortis d’un
transistor. Là, il tourne à gauche, traverse la place avec le café,
disparaît sous un porche, franchit deux cours d’usine pour atteindre son
bureau, s’assied à sa table, entouré de mesquinerie et de sons brutaux qui
lui semblent la vie toute nue; le temps s’écoule, se fige, il est assis. » Le
narrateur, se confond régulièrement avec le gros poète (même si Matthias
Zschokke lui-même est mince comme un fil et n’a pas un sou), mais lui préfère
écrire un livre où « rien ne doit arriver ». Il est insomniaque, inquiet, un
dîner dans dix jours l’agite au plus haut point, l’empêche de se concentrer
sur quoi que ce soit d’autre : « (…) je me demande si je serai assez
distrayant pour toi, si ma peau, ma tête, mes yeux seront assez perméables,
je suis terriblement excité, incapable de penser, je sors, m’assieds dans un
café, feuillette les journaux, incapable de me concentrer, je me demande
pendant des journées entières quel est le meilleur moment pour me raser, le
matin, pour que la peau puisse se calmer jusqu’au soir mais qu’en revanche des
repousses de poils soient visibles, ou le soir pour être bien rasé mais par
contre avec un visage égratigné jusqu’au sang, qu’est-ce qui est le plus
raisonnable? » Le politiquement correct, très peu pour lui : « Nous ne
franchissons plus les bornes. Quand nous allons au bordel, nous emportons des
capotes. Quand nous célébrons des messes noires et que nous nous entaillons
les bras pour mêler notre sang à celui d’un étranger, nous courons ensuite
à la clinique pour nous faire examiner. Les défilés de carnaval sont
supprimés, une fois à cause d’un vent trop fort, une autre, à cause de trop
de guerre. Nous ne célébrons plus de fêtes sans avoir calculé à l’avance
combien de bouteilles il nous faut pour être heureux. Qu’est-ce que je peux
te raconter de joyeux, chaton? Nous avons peur. Partout nous emmenons avec
nous quelqu’un qui nous assure contre tout et c’est ainsi que nous nous
préservons de la vie, ce qui engendre une tristesse mortelle. Restons
simplement assis ici en regardant dans le vide, peut-être qu’un oiseau
passera en volant et nous réjouira de sa liberté d’oiseau... » L’argent peut
par exemple faire le bonheur, mais à une certaine condition : « Mes ancêtres
ont accumulé de l’argent. Je les admire et considère comme exemplaire tout
ce qu’ils ont fait. Mais leur mode de vie était tellement étriqué. Tout
était un peu sévère, sans joie, engoncé. J’aimerais être comme eux, en
tout, mais je voudrais en plus prendre plaisir à la richesse. » Le 31
décembre, qui revient comme un refrain dans l’ensemble du livre, l’année
bascule dans une autre, c’est « comme l’expiration d’un petit chat ». Mais la
Saint-Sylvestre est un moment de bilan d’une grande complexité à traverser, «
chacun a l’impression d’être en verre, particulièrement fragile,
contestable, le trente et un décembre alors que nous pensons à de nouvelles
années et à celles qui sont passées, où tout me paraît tellement
dégueulasse, dégueulasse et souillé, taché, froissé » Pour faciliter ce
passage, il a quelques rituels, comme acheter des boules de Berlin ou écrire à
ses amis : « Et quand, au bout de deux ou trois lettres, je n’ai plus su à
qui je pourrais bien envoyer cette chose, j’ai écrit au hasard sur les
enveloppes quelques adresses de l’annuaire téléphonique. » Toujours au
moment de la Saint-Sylvestre, il doit se transformer en Shéhézarade, car la
petit elfe nommée « chaton » lui demande des histoires. Fragment de l’une
d’entre elle : « Là-bas, ils se déshabillèrent complètement, tous deux
étaient tendres et pâles, ils entrèrent dans la mer, sur quoi le ciel se
couvrit à nouveau rapidement, s’obscurcit. Ils sortirent en hâte de la mer,
se séchèrent, remirent tous leurs vêtements aussi vite qu’ils purent. Il
recommença à pleuvoir, de plus en plus fort et, trempés jusqu’aux os,
furieux, ils pataugèrent dans la boue rouge jusqu’au village. Ils arrivèrent
dégoulinants, s’assirent au café, burent de l’alcool, chantèrent en anglais
: Heureux celui qui oublie ce qu’on ne peut plus changer, braillèrent. Sous
leur table se forma un champ de bataille de terre rouge poisseuse et d’eau ;
ils burent jusqu’à ne plus rien pouvoir avaler de cette chose. » Matthias
Zschokke est né en 1954 à Berne et vit à Berlin depuis 1980. Ecrivain,
dramaturge, cinéaste, il a reçu le prix Robert Walser pour son premier roman,
Max, en 1981, et le prix Femina étranger pour son roman Maurice à la poule
en 2009. «Comme auteur, Zschokke maîtrise le magique : à partir de rien il
fait quelque chose, et tandis qu’il décrit la vie dans ses bizarreries elle
devient plus dense, prend de la valeur, de la grâce et de l’éclat.» Carsten
Hueck, Radio Allemagne (=France inter)
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