Arrive un vagabond

Robert Goolrick

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    10 décembre 2013

    L'enfance est un lieu dont on ne sort pas indemne

    Il y a des livres que l'on se sent presque forcé d'aimer, tant la critique s'est montrée élogieuse à leur égard: « texte éblouissant », « roman magnifique », « un vrai chef-d'oeuvre » ... Qu'ajouter à tout ce qui a été dit ?  Comment vous convaincre de le lire, après les articles enchanteurs comparant Robert Goolrick à Steinbeck ? J'ai essayé de me l'approprier sans préjugés.

    1948\. Comme le suggère le titre, un vagabond arrive à Brownsburg, bourgade paisible du sud des Etats-Unis, au volant d'un vieux pick-up. De Charlie Beale, on ne sait rien. Il n'a pas de passé, mais consigne son quotidien dans les pages d'un cahier. Vivant d'abord à l'écart, dans un champ, il s'attire rapidement l'affection des habitants. Will, le boucher, l'engage à ses côtés. Alma, l'épouse de celui-ci, le materne et lui trouve une maison. Mais c'est surtout avec leur fils que Charlie se lie d'amitié. Sam, six ans, petit garçon aux milliers de questions, mais forcé de taire un très lourd secret, un secret écrit noir sur blanc dans le cahier de Charlie, un secret terrible, et qui se résume en un mot : adultère, ou en un prénom : Sylvan. Sylvan est l'épouse du riche propriétaire Boaty Glass, mariée de force, puisqu'il l'a achetée à ses parents, des paysans miséreux. Dès qu'elle pose le pied dans la boucherie, l'étranger s'éprend de cette beauté entêtante, aux yeux verts et aux doigts fins. Peu à peu, Sylvan Glass devient pour Charlie, sa raison de vivre. S'ensuit alors une passion dévorante dont le petit Sam est l'unique témoin.

    Mais ne parler que de la passion interdite entre deux êtres que tout oppose, serait réduire le roman de Robert Goolrick à une -très belle- histoire d'amour. Or, il est bien plus que cela. Le récit est porté par deux personnages que l'auteur ne se lasse pas d'analyser : à travers Sylvan, il raconte d'abord la désillusion. Du haut de ses vingt ans, la jeune femme rêve de vie mondaine et d'Hollywood, arbore des robes flamboyantes et parle comme les actrices de cinéma qu'elle écoute fiévreusement à la radio. Elle tente vainement d'oublier sa vie monotone, et nous fait délicieusement penser à Emma Bovary. Puis, à travers Sam, il opère une plongée dans le monde de l'enfance. On se met à la place du petit garçon éternel insatisfait et d'une intelligence extrême, qui prend à la fois conscience de son cœur et de son corps, et c'est tout simplement bouleversant. Sa liberté de parole fait du lecteur son tendre complice. Et parce que le héros considère Sam comme un adulte, le petit ne parvient pas à trouver sa place. Seul et silencieux, assis dans le salon de Sylvan, face aux biscuits et aux bandes dessinées, les bruits provenant de l'étage, le paralysent et le gênent. Moins que l'existence de Sam, ce sont aussi les vies des habitants que Charlie bouleverse. À Brownsburg, Noirs et Blancs ne se mélangent pas. Chacun dans son église craint Dieu et l'enfer. Alors quand l'étranger commet le péché ultime, ils se renferment encore davantage sur eux-mêmes.

    Les lectrices de « Elle » avaient vu juste en décernant leur grand prix 2013 à ce roman. Ce drame poignant, qui oscille dangereusement entre grâce et cruauté, se lit d'une traite. Comme un écho à la phrase « L'enfance est un lieu dont on ne sort pas indemne », la tragédie monte en puissance et laisse place au dénouement qui glace le sang.

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