La servante écarlate

Atwood Margaret

J'ai Lu

  • Conseillé par
    26 février 2012

    Dans un futur proche, les États-Unis ont basculé dans un régime policier et ultra-contrôlé : le pays est devenu la république de Giléad. Des accidents nucléaires ont pollué l’atmosphère et les corps. Nombreux sont ceux frappés de stérilité, mais selon la loi est claire à ce sujet : « Un homme stérile, ça n’existe plus, du moins officiellement. Il y a seulement des femmes qui sont fertiles et des femmes improductives, c’est la loi. » (p. 69) Ce nouvel ordre social est dominé par les hommes, mais il fait la part belle aux femmes capables de procréer. Elles sont les servantes, toutes vêtues de rouge et affectées au service d’un foyer influant pour leur donner un enfant. Jalousées et extrêmement surveillées, les servantes ont le privilège de la maternité et elles assument un rôle sacré, presque religieux, comme en témoignent leur robe aux allures moniales. « Maintenant elle sont protégées, elles peuvent accomplir leur destin biologique en paix. » (p. 246)
    Objet de tous les désirs, ces femmes ne se livrent pas à tous les hommes. Strictement offertes à des hommes méritants, souvent puissants, rien ne doit souiller leur corps ou leur fonction. « Notre fonction est la reproduction : nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des concubines. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n’est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d’autre ; l’amour ne doit trouver aucune prise. Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c’est tout : vases sacrés, calices ambulants. » (p. 152) Elles forment un corps unique, une hydre au ventre aussi prodigieux que monstrueux : nul ne sait si l’enfant qui naîtra sera viable, mais chaque grossesse est une promesse qui fait de la servante le réceptacle temporaire d’un miracle.


    Parmi elles, Defred, « une sœur, trempée dans le sang » (p. 11), ne cesse de penser aux temps d’avant, pas si lointains, à l’époque où la liberté était une chose insouciante et à laquelle personne ne faisait vraiment attention. « Nous vivions comme d’habitude, en ignorant. Ignorer n’est pas la même chose que l’ignorance, il faut se donner la peine d’y arriver. » (p. 65) Defred pense à son époux et à sa fille, des êtres chers qui se dissolvent dans l’incertitude. Sont-ils morts ? Où sont-ils ? Vaut-il mieux ne pas savoir ? À ces souvenirs de bonheur perdu se mêlent ceux de la formation dans le centre rouge, là où elle a appris à devenir une servante. « Je suis devenue une ressource nationale » (p. 74), dit-elle : le nombre des naissances est en chute libre et la démographie est au cœur des enjeux belligérants de la nouvelle république.
    Le souvenir de son amie Moira la poursuit parfois : la jeune femme, même avant la république de Giléad, était un esprit libre et rebelle, jamais soumis. Mais on défend aux femmes de trop réfléchir. « Penser peut nuire à nos chances, et j’ai l’intention de durer. » (p. 10) Globalement docile, Defred a parfois des accès insurrectionnels : la seule liberté serait mourir. Mais le régime le sait et il prévient toutes les tentatives. Interdites de divertissements et avant tout de lecture, les servantes vivent dans la menace constante de la déportation dans les Colonies, auprès des Antifemmes, dans ces terres brûlées et toxiques où la mort est un châtiment avant d’être une délivrance. Impossible de savoir à qui faire confiance, il y a des espions partout. Avec une phrase qui fait rengaine dans son esprit, « Nolite te salopardes exterminorum », Defred essaie de grappiller quelques libertés, de minuscules espaces de rébellion.
    À mesure que se déroule le récit de Defred, et en dépit de certaines réticences, on comprend qu’elle se livre à un aveu honteux, presqu’un confiteor. « Je regrette qu’il y ait tant de souffrance dans cette histoire. Je regrette qu’elle soit en fragments, comme un corps pris sous un feu croisé ou écartelé de force. Mais je ne peux rien faire pour la changer. » (p. 297) Soumise malgré elle à la nouvelle religion austère qui domine la république, Defred sait ne pas pouvoir échapper à son rôle, ou alors au prix d’une inconcevable témérité.
    Ce roman rappelle sans aucun doute 1984 d’Orwell ou Brave New World d’Huxley. Rien d’étonnant à cela : la société se répartit entre Commandants, Épouses, Gardiens, Yeux, Servantes, Marthas, Anges, etc. Chacun a une fonction et une couleur. La transgression est interdite, traquée et impitoyablement châtiée. La science-fiction se fait discrète : quelques allusions à un système général de reconnaissance et de contrôle qui régit tout et chacun. Mais pas d’insémination : la reproduction se fait à l’ancienne, avec les méthodes naturelles, même si la cérémonie de l’accouplement revêt des dehors pour le moins étranges.
    Lisez avec attention les notes historiques qui concluent le récit de Defred. Oui, toute civilisation se passe et ce qui fait horreur aujourd’hui sera objet d’étude demain. Pour ma part, je ne peux que vous recommander cet excellent roman d’anticipation : son volet profondément social et féminin en fait un texte de mise en garde. Des femmes-incubateurs ? On peut en rire, mais faisons attention…


  • Conseillé par
    17 octobre 2011

    Vous le savez, je n'aime pas la SF, et pourtant, je me suis laissée prendre à cette histoire de servante toute habillée de rouge et qui doit enfanter à la place de l'Epouse d'un Commandant.

    C'est le « journal », parsemé de ses souvenirs d'avant l'ère Galéadienne, que nous lisons, son journal d'enfermement fait de cérémonies à dates fixes et de sorties pour les courses. Triste vie, mais sa vie n'a pas d'importance, c'est la vie qu'elle va enfantée qui importe pour tout le monde.

    Et puis, elle découvre que la Servante avec qui elle est obligée de faire les courses fait partie d'un réseau de résistance ; que le Commandant chez qui elle habite n'est pas si à cheval sur les principes et la morale ; et que l'Epouse de ce Commandant est prête à tout pour que leur Servante tombe enceinte.

    C'est donc un roman sur le totalitarisme et l'endoctrinement des masses.

    Ce qui m'a, en revanche, moins plu, mais c'est aussi tout l'intérêt du livre, c'est que la narratrice est « une parmi d'autre », ni particulièrement endoctrinée (car elle regrette sa vie d'avant) ni particulièrement en révolte car elle ne cherche pas à en savoir plus sur ce qui se passe (ce qui est pourtant à sa portée) ni à entrer dans la Résistance. Une personne qui se laisse portée par les événements et les autres.

    Mais que ferions-nous à sa place ?

    L'image que je retiendrai :

    Celle de la présence des fleurs dans le récit, qui humanise un peu l'histoire.

    http://motamots.canalblog.com/archives/2011/10/03/21743796.html